- FABLIAU
- FABLIAULes fabliaux, «contes à rire en vers» selon la définition de J. Bédier, apparaissent vers la fin du XIIe siècle et disparaissent au début du XIVe siècle. Ils constituent un genre aux contours parfois imprécis, dont les quelque cent cinquante vestiges qui nous sont parvenus ne représentent qu’un échantillon. Ce genre a cependant survécu à travers les «schwankmären» allemands, pour inspirer ensuite Boccace et Chaucer et favoriser la naissance de la nouvelle. Il occupe donc une place importante dans la littérature du Moyen Âge.Caractéristiques du genreLa définition du genre pose des problèmes délicats. Une cinquantaine de fabliaux, que l’on dit «certifiés», se donnent eux-mêmes ce nom: mais quelques-uns d’entre eux semblent le devoir à une erreur de scribe, tant ils ressemblent à des genres comme le dit ou la fable. D’autres pièces se situent aux confins du lai, du conte moral, de la nouvelle courtoise ou du débat. Mais ce flou demeure marginal et ne doit pas conduire à douter de l’existence du genre.Celui-là a fleuri essentiellement dans le Nord: ignoré du Midi, il est surtout cultivé en Picardie, Artois, Hainaut, mais aussi en Normandie, Champagne, Orléanais et Bourgogne. D’une manière générale, le fabliau est lié à l’urbanisation.Quels sont les principaux caractères du genre? R. Dubuis a tenté de dégager une théorie du fabliau des déclarations des auteurs eux-mêmes. Ceux-ci font de l’aventure la notion centrale, recherchent la brièveté, parfois le comique, et affirment que leur récit a une valeur exemplaire: la morale ne serait donc pas accessoire. Mais il va de soi, surtout au Moyen Âge, que les déclarations d’intention peuvent n’être que rhétoriques, et le problème que pose la morale n’est pas des plus aisés à résoudre.La notion d’aventure reste vague et diverse: elle suppose une perturbation provisoire de la vie quotidienne, sans que cette perturbation soit nécessairement positive ou négative. Ses ressorts principaux sont l’argent et le plaisir (particulièrement le plaisir charnel, mais aussi la gourmandise ou le pur amusement); toutefois, quelques fabliaux sont de véritables contes cruels, où la violence prend le relais de la ruse (Tresses , Mâle Dame , Connebert ). Le comique est néanmoins souvent présent, souligné par des interventions du jongleur qui ironise sur ses personnages. Certains fabliaux utilisent le rire comme une arme de destruction. D’une manière générale, le fabliau met en évidence tout ce qui crée un décalage entre un comportement et la norme, entre les prétentions des êtres et les réalités auxquelles ils ne parviennent pas à s’adapter car ces réalités sont souvent falsifiées par la ruse d’autrui. Dans ce jeu fréquent de la bêtise et de la ruse, la force comique tient généralement à la matérialisation, sous les yeux du lecteur, de ce qui paraît une réussite invraisemblable: cette sorte de supériorité d’un personnage sur la vie, aux dépens de trompeurs malintentionnés ou d’individus abjects, est le propre de beaucoup de nos meilleurs textes. Le genre pratique par ailleurs toutes les formes codifiées du comique: comique de farce, obscénité, scatologie (Jouglet, La Crote ) comique de répétition, de gestes ou de situation. Mais ces formes ne sont pas toujours cultivées pour elles-mêmes: instruments de détente, elles peuvent être subordonnées à la mise en œuvre du sens.Car le fabliau se veut également véridique et exemplaire. La revendication de la véracité est un trait constant. Cela confirme l’importance de la «bonne histoire» (J. Rychner) en elle-même, ainsi que le goût pour les formes les plus quotidiennes de la vie. Mais elle est la condition nécessaire de l’exemplarité. Or beaucoup de fabliaux se veulent une illustration d’un précepte ou d’une vérité morale; de nombreux proverbes s’y trouvent enchâssés, et les victimes ne sont jamais innocentes. Il y a cependant un abîme entre cette morale et les moyens mis en œuvre pour l’illustrer, au point qu’elle sonne bien souvent faux et n’est plus guère qu’un simple prétexte.Une écriture du jeuLe fabliau suppose une élaboration littéraire. Si un certain nombre de textes méritent d’être qualifiés de «littérature des indigents» (J. Bédier), d’autres sont de petits chefs-d’œuvre (Trois Dames de Paris , Tresses , Trois Aveugles de Compiègne par exemple). La brièveté (quelques centaines de vers en général) engendre rapidité, vérité et naturel; la rime permet tous les jeux avec le langage; l’octosyllabe favorise une écriture directe, peu ornée, où tous les détails ont une valeur fonctionnelle. La peinture des personnages, juste esquissée, se fait surtout à travers les dialogues. La structure des œuvres est souvent simple: tantôt linéaire, ou «à point de bascule» (R. Dubuis), tantôt avec un dépassement des données initiales (Estormi , Vilain Mire ), elle se fonde toujours sur un ou plusieurs effets de surprise, à la manière du Roman de Renart qui se développe à la même époque. Par nature, les fabliaux appartiennent au style bas, qui se caractérise par l’emploi exclusif de termes du vocabulaire courant (voire grossier et obscène), par l’absence de rhétorique savante, par un niveau syntaxique simple et clair, enfin par un registre sociologique particulier (la haute société n’y est qu’exceptionnellement représentée).Ce niveau stylistique a pu causer de regrettables erreurs d’interprétation. J. Bédier, après avoir réfuté la thèse de l’origine orientale de ces contes (défendue au siècle dernier par G. Paris), a cru voir en eux un pur produit de l’esprit bourgeois. Cette thèse, trop radicale, a été contrebattue en 1957 par P. Nykrog qui voyait dans les fabliaux un «burlesque courtois» par lequel les classes supérieures se seraient moquées des inférieures cherchant à les «singer». Mais, s’il est certain que le système de valeurs que l’on rencontre dans les fabliaux est aristocratique, il faut avouer que l’on ne trouve guère cette «courtoisie des vilains» qui susciterait le rire. Le monde des auteurs de fabliaux est divers, comme leur vision des choses, et évoquerait plutôt celui des jeunes clercs non tonsurés: à coup sûr monde de la jeunesse, accablant de ses sarcasmes celui des gens assis.Au fond, le grand ressort de l’écriture des fabliaux, c’est le jeu. Jeu sur l’illusion d’abord, dans tous les fabliaux un peu complexes. Jeu avec la morale, dont on ne sait plus toujours si elle est un point de départ sérieux ou un prétexte, un masque; jeu avec la langue aussi, dans les meilleures œuvres; jeu avec les tabous, constamment transgressés, mais que le recours à la métaphore continuée transforme en jeu littéraire (La Demoiselle qui ne pouvait ouïr, L’Esquiriel ); jeu avec les personnages, trompeurs ou trompés (et souvent les deux à la fois), et avec la société, dont l’ordre perturbé est presque toujours finalement rétabli. En dépit de certaines apparences, les fabliaux ne sont pas une littérature de type carnavalesque: le monde de la fête ne prépare jamais des régénérations, et les barrières sociales ne sont jamais vraiment entamées. La grande liberté du contenu cache une vision largement conservatrice, et l’irréel est bien le sens des réalités trop crues.fabliaun. m. Conte en vers divertissant ou édifiant (Moyen âge).⇒FABLIAU, subst. masc.LITT. FR. (XIIe et XIIIe s.). Conte populaire en vers, satirique ou moral. Les recueils de nos fabliaux, le Décaméron de Boccace, sont pleins de traits qui respirent cette liberté de penser, ce mépris des préjugés (CONDORCET, Esq. tabl. hist., 1794, p. 106). L'aubergiste (...) auquel je prêtais l'aspect disputeur, solennel et médiéval d'un personnage de fabliau (PROUST, Swann, 1913, p. 388) :• ... c'est avec prédilection que les auteurs de fabliaux, contes écrits en français, ont exercé leur verve contre les prêtres, pris comme objets préférés de facéties parfois inoffensives et parfois fort acérées.FARAL, Vie temps de st Louis, 1942, p. 48.Rem. La forme fableau est également attestée ds la docum. Ce dernier mot n'est pas plus étonnant que « fabliau » jadis « fableau » (GOURMONT, Esthét. lang. fr., 1899, p. 151). L'infime place qu'occupent les passions politiques chez le bourgeois français tel qu'il apparaît dans les fableaux, dans la comédie du moyen-âge (BENDA, Trah. clercs, 1927, p. 18).Prononc. et Orth. :[
] ou [fa-]. BARBEAU-RODHE 1930 admet [
] ou [a], ce qui s'explique parce que la syll. n'est plus sous l'accent. Cf. fable. Ds Ac. 1762-1932. Étymol. et Hist. Ca 1200 (J. BODEL, Saxons, éd. F. Menzel et E. Stengel, 25); forme pic. reprise par C. FAUCHET, Recueil de l'origine de la langue et poésie française, 1581, éd. Janet G. Espiner-Scott, livre 1, chap. VIII, 1. 35, 49, 115 etc.). Dér. de fable; suff. -eau (a. fr. -el), fabliau étant la forme pic. de l'a. fr. fablel, fableau (cf. GDF. Compl. et T.-L. s.v. fablel). Fréq. abs. littér. :46. Bbg. GUIETTE (R.). Fabliau. In : G.(R.). Questions de litt. Gent, 1960, pp. 67-77; In : [Mél. Gessler (J.)]. Louvain, 1948, t. 1, pp. 566-569. — ORR (J.). Mod. Lang. R. 1958, t. 53, pp. 257-258. — OTCHERETT (O.). Sur la déf. du genre des fabliaux. Annales sc. de l'Inst. pédag. Lénine. Moscou. 1970, n° 382, pp. 219-245.
fabliau [fɑblijo] n. m.ÉTYM. XIIe; forme picarde, reprise au XVIe, du francien fablel ou fableau; de fable.❖♦ Petit récit en vers octosyllabes, plaisant ou édifiant, propre à la littérature « bourgeoise » des XIIIe et XIVe siècles. || « Le vilain mire » (le paysan médecin), fabliau du type plaisant et satirique. || « La housse partie » (la couverture partagée), fabliau du type émouvant et moral. || Recueil de fabliaux. || Personnages, animaux des fabliaux.
Encyclopédie Universelle. 2012.